A.Contexte historique
La Première Guerre mondiale est un conflit qui eut lieu entre 1914 et 1918. Il impliqua la plupart des grands pays de l’époque (France, Angleterre, Russie, Japon, Empire ottoman) et leur colonie. C’est donc une guerre mondiale, parce qu’elle se déroula sur différents continents.
La guerre fut déclenchée à la suite de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône austro-hongrois à Sarajevo, dans le royaume de Serbie.
Cela a entraîné la guerre entre l’Autriche-Hongrie et la Serbie. Mais comme ces deux pays avaient signé des alliances d’aide en cas de guerre avec d’autres pays, c’est pourquoi la France, l’Angleterre, l’Allemagne et la Russie furent entraînées dans la guerre.
Cette guerre fut aussi la première guerre totale, car chaque pays y a mobilisé l’ensemble de la nation. (Population, économie, industrie…).
B.Guillaume Apollinaire
Guillaume Apollinaire est né en 1880. Sa mère était polonaise et son père italien. Après une enfance passée dans le sud de la France, il fait de nombreux voyages et a plusieurs liaisons. Il fréquente les milieux artistiques d'avant-garde, devient l'ami de Derain, Vlaminick et de Picasso. Il devient critique d’art en 1907. En 1914, il s’engage volontairement dans les troupes françaises où il est affecté dans l'artillerie, puis dans l'infanterie. Il fait la rencontre de Louise de Coligny-Châtillon, dite Lou avec qui il va vivre une passion autant brûlante qu’éphémère. Lorsqu’il est dans les tranchées, il lui écrira une correspondance. Cette correspondance épistolaire associe la poésie avec la narration et la vie quotidienne. Toutes les lettres, accompagnées de poèmes sont publiées en 1947 sous le titre : « Ombres de mon amour » puis sous le titre de « Poèmes à Lou ». Dans ce recueil, l’amour et la guerre sont étroitement liés, car ils représentent alors l’essentiel de la vie du poète. Apollinaire est aussi à l’origine de nombreuses parutions dont deux recueils très célèbres sont « Calligrammes » et « Alcools ». Apollinaire meurt en 1918 quelques jours avant l'armistice suite à une épidémie de grippe espagnole.
Guillaume Apollinaire témoigna des découvertes et avant-gardes de son temps : l'art naïf et l'art nègre. Il est un emblème de la poésie moderne. Les surréalistes ont reconnu en Apollinaire un de leurs précurseurs.
C.« Ma Lou » du recueil Poèmes à Lou de Apollinaire
Mourmelon-le-Grand, 6 avril 1915
Ma Lou je coucherai ce soir dans les tranchées
Qui près de nos canon ont été piochées
C'est à douze kilomètres d'ici que sont
Ces trous où dans mon manteau couleur d'horizon
Je descendrai tandis qu'éclatant les marmites
Pour y vivre parmi nos soldats troglodytes
Les trains s'arrêteraient à Mourmelon le Petit
Je suis arrivé gai comme j'étais parti
Nous irons tout à l'heure à notre batterie
En ce moment je suis parmi l'infanterie
Il siffle des obus dans le ciel gris du nord
Personne cependant n'envisage la mort
Et nous vivrons ainsi sur les premières lignes
J'y chanterai tes bras comme les cols des cygnes
J'y chanterai tes seins d'une déesse dignes
Le lilas va fleurir Je chanterai tes yeux
où danse tout un chœur d'angelots gracieux
Le lilas va fleurir ô printemps sérieux
Mon cœur flambe pour toi comme une cathédrale
Et de l'immense amour sonne la générale
Pauvre cœur mon amour Daigne écouter le râle
Qui monte de ma vie à ta grande beauté
Je t'envoie un obus plein de fidélité
Et que t'atteigne ô Lou mon baiser éclaté
D. Analyse poétique :
1.Introduction
Le poème intitulé « Ma Lou » d’Apollinaire est extrait du recueil « Poèmes à Lou » écrit en 1915. Lou est en réalité Louise de Coligny-Chatillan. Après le départ d’Apollinaire pour la guerre, Lou va le retrouver et pendant huit jours ils vont vivre une passion amoureuse. En janvier 1916, il lui écrit sa dernière lettre. L’ensemble de ses lettres forme le recueil « Poèmes à Lou ». Ce recueil incarne une poésie nouvelle à mi-chemin entre la prose et les vers, il ouvre la voie à une poésie moderne. C’est très hétéroclite sur le plan formel, les poèmes sont en vers réguliers et en vers libres. Dans le poème « Ma Lou », le discours amoureux se mêle étroitement avec l’expérience du soldat et donne une grande originalité à cette lettre-poème. Nous verrons dans un premier temps la présence de la guerre, puis, en second lieu, le discours amoureux.
2.La vision de la guerre du poète
Nous avons les détails de la vie dans les tranchées en tant que lieu de vie pour les soldats, « Ma Lou je coucherai ce soir dans les tranchées ». Les expressions qui s’y rapportent marquent la descente, « piochées », « troglodytes », « trous », « descendrai ». La peur n’est en fait pas présente, au contraire de la présence de la réalité. La lucidité de la situation est encore renforcée par la présence des verbes au futur. La narration est simple et presque détachée des réalités de la guerre. Il y a une certaine banalisation de la guerre. Le langage est à la limite de la prose malgré l’usage régulier d’alexandrins. Nous remarquons l’absence de ponctuation. Le poète semble avoir l’optimisme de celui qui n’a pas encore fait la guerre. Il s’agit d’un poème consacré à l’amour et non une dénonciation de la guerre.
3.Le discours amoureux
Il s’agit aussi d’un poème d’amour comme le met en évidence l’apostrophe « Ma Lou ». Nous avons un glissement de sujet dès la deuxième strophe. Le poème bascule dans le discours amoureux avec la première personne du singulier qui l’emporte sur le « nous ». La guerre malgré ses risques ne tue pas les sentiments amoureux, elle n’empêche pas Apollinaire de faire une déclaration d’amour à la femme aimée. L’insistance du poète est marquée par la présence du verbe « chanter » sous forme anaphorique. La beauté physique de la femme comprend des descriptions admiratives de la part du poète sur les « bras », « les seins » et les « yeux » de Lou. Les comparaisons et métaphores favorisent la divinisation de la femme élue. Le cœur est comparé à une cathédrale. L’amour est associé à la saison printanière « le lilas va fleurir », ce qui met en avant la beauté de la femme. Nous remarquons également la métaphore traditionnelle du feu de l’amour. Ce bonheur amoureux est une réponse à l’optimisme de la première strophe. Apollinaire utilise certaines images du cadre guerrier pour évoquer l’amour ; nous avons des termes comme « la générale » pour signifier la mobilisation générale, ou encore « obus plein de fidélité », « baiser éclaté ». Les deux domaines se mêlent étroitement dans une certaine familiarité de langage, au vers 20 par exemple. Enfin, nous constatons au vers 21, une chute dans le réel qui fait qu’il y a presque une antithèse entre les vers 20 et 21. Les derniers vers sont comme une sorte de dérision où Apollinaire est ramené à la réalité.
4.Une poésie nouvelle et hybride
Le poète mélange les genres épistolaires et poétiques. Nous constatons la présence des marques de la lettre, comme la date, le lieu, l’ouverture « Ma Lou » et la fermeture, « mon baiser ». Les marques de la poésie sont tout aussi présentes. Les rimes sont plates, nous avons aussi des alexandrins. Dans la première strophe, les vers sont en rimes plates par deux tandis que dans la seconde, ils sont en rime par trois. L’absence de ponctuation donne au poème un rythme libre et continu. Nous avons un mélange de thèmes toujours en interaction (l’amour et la guerre), le poète intègre des considérations quotidiennes, il évoque la guerre. Nous avons donc une mise en rapport immédiate de la réalité de la guerre avec les éléments de la vie quotidienne ainsi que des références à l’amour, une célébration de la femme comme s’il y avait un lien évident entre l’ensemble de ces éléments.
5.Conclusion
Tant sur le plan formel que thématique, le langage poétique d’Apollinaire est marqué par l’affranchissement des traditions et par une grande liberté d’écriture. Il réconcilie la poésie avec la narration et la vie quotidienne. Il est capable de sublimer l’horreur de la guerre. On a ici un bel exemple de la modernité poétique qui annonce les audaces du surréalisme.
